LE LA MORT,
Fabien Giraud, 2011
Photographies

Le La Mort est une œuvre constituée de quinze fragments qui se présentent sous la forme de livres. Chaque ouvrage est coupé en son milieu par un second livre Metaxu contenant le texte d'une conversation entre Fabien Giraud et Vincent Normand.

D'un premier abord, l'objet interpelle par sa sobriété : seul le titre Le La Mort vient couvrir de noir la surface blanche de la couverture. En feuilletant les pages de cet ouvrage le lecteur découvre des photographies en noir-et-blanc qui reproduisent à l'échelle 1:1 un ensemble de sculptures en bois calciné conçues par Fabien Giraud pour son exposition à Forde à Genève en 2011. Photographies énigmatiques qui parfois ne montrent que de grandes surfaces noires sans aucun détail significatif, parfois révèlent certains aspects de la sculpture et de sa matière. Au milieu de ces pages, un autre livre intitulé Metaxu fait irruption. Il surgit comme s'il était venu éventrer la matière même de Le La Mort. Les pages de Metaxu laissent découvrir un texte numéroté en 48 chapitres. Ce texte est une épopée sur la technique, épopée qui démarre dans une plaine de la vallée de l'Indus quelques siècles avant notre ère pour s'achever en 2010 dans ce lieu diffus que serait notre culture contemporaine, dans ce va et vient entre culture de l'image et technologie de pointe. Comme pour faire écho à cette épopée sur la technique, Fabien Giraud confronte ici deux techniques d'impression, deux savoir-faire radicalement opposés : celui de l'impression numérique et industrielle pour Le La Mort, celui de l'impression artisanale sur linotype pour Metaxu. Fabien Giraud nous livre ici une réflexion puissante, à la fois poétique, théorique, littéraire et plastique, sur la relation entre l'art (et l'artiste) et son rapport aux technologies telles qu'elles se sont déployées dans l'histoire de l'humanité. Il pose ici les bases de sa méthode de pensée. Une pensée qui n'emprunterait pas simplement à la philosophie son mode discursif et logique de déploiement, mais se dresserait depuis la contingence radicale des matériaux et des forces qui la conditionnent.

« Il faut imaginer un homme ignorant qui regarderait les choses seules, détachées de toute connaissance quant à leur origine. Pour lui, un galet serait semblable à un nid, un barrage de castor à une palissade usée au fond d'un terrain vague, un buisson couché sur une côte escarpée à la dernière voiture sortie des usines Nissan. Dans ce monde d'équivalence, où tous les objets seraient alignés sans distinction d'appartenance à un ordre du vivant, sans projection d'intentionnalité, rien ne distinguerait en propre la production de l'homme de celle de la nature. Pour lui, la technique serait alors tout autant le processus de nidification des oiseaux que la soudure des composants électroniques dans une usine à la chaîne ; ce serait tout aussi bien le lent travail de polissage d'une rivière sur la pierre que le moulage des pistons dans une fonderie d'acier. Désormais, avec lui, il faudrait dire que la technique n'est pas le privilège de l'homme, mais au contraire, une force naturelle parmi d'autres. Il faudrait affirmer que nous n'avons jamais été les irréductibles propriétaires de la technique mais une simple expression de son travail dans le monde au-dehors. Du mort qui saisit le vif déploie les conséquences d'un tel postulat. Depuis ce monde sans nous, où rien n'appartient à rien, où tout semble avoir irrémédiablement basculé au-dehors, il s'agit de développer une pratique possible au sein d'une telle condition. Pour ce faire, l'art viendrait à retrouver son nom des origines, tekhnè. Un art prémoderne, en quelque sorte, qui n'aurait rien à voir avec les catégories esthétiques du jugement ou du goût, mais serait en prise directe avec le mouvement ontologique de la technique en tant qu'elle est constitutive de notre présence au monde. »
Fabien Giraud

 
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