EXPOSITION

KATINKA BOCK
Les mots de demain


9 décembre 2011 au 3 février 2012
Vernissage le 9 décembre de 16h à 23h
Performance de Christian Jendreiko, le 9 décembre à 19h30

Vielen Dank für die Blumen
(Udo Jürgens)
(« Merci beaucoup pour les fleurs » : titre d'une chanson d'Udo Jürgens)

Sous des couches renflées de terre crue brun foncé, on perçoit l'éclat de quelques fleurs délicates et de feuilles écrasées sous les plaques, qui achèvent ainsi leur courte vie, immortalisées à jamais dans les strates argileuses. Danke (« Merci », 2011) est le titre que Katinka Bock a donné à cette œuvre, présentée, encore humide, sous forme de cliché photographique dans le Libelle édité par Rosascape en amont de son exposition intitulée Les Mots de demain. Après la prise de vue, les fleurs se consument à la chaleur du four, les plaques, pareilles à de la pâte étalée au rouleau, se déforment, et l'empreinte des plantes dans les interstices laisse une trace en creux dans l'argile.

Comme bien souvent dans ses œuvres, Katinka Bock s'expose au risque de ne pas maîtriser entièrement la tournure que prendra son œuvre, d'ignorer quelles traces de la version préliminaires seront encore visibles et quel aspect l'objet revêtira en fin de compte. Mais ce défi est moins un fardeau qu'un élément intrinsèque du travail, car tout produit final résulte de processus et de décisions multiples où le hasard a aussi sa place. On peut voir là un refus de la forme, car la sculptrice intègre des processus (témoignant parfois d'un humour poétique) qui illustrent son propre échec et traite cet instant comme un véritable thème de l'œuvre.

Katinka Bock présente volontiers des souvenirs sous l'aspect d'empreintes, frottages, pliages, ou encore flaques d'eau sur le sol d'un lieu d'exposition. Ses œuvres, en tant que reliques révélant la temporalité du processus créatif, sont comme les témoins d'une sorte de stase, ou peut-être d'une intériorisation d'actions. Dans l'exposition Les Mots de demain, le visiteur découvre ainsi un grand nombre de ces traces, qu'il parcourt comme autant de couches sédimentaires. Les traces matérielles d'une nuit se présentent au public sous la forme d'empreintes sur un matelas d'argile (Le Lit (une nuit), 2011). L'artiste a passé une nuit couchée sur un bloc de terre crue avant de cuire l'objet pour immortaliser les traces laissées par son corps et ses mouvements au cours de cette nuit.
Dans la pièce d'angle de Rosascape, on découvre des traces de couleur bleue que l'artiste a appliquées sur les vitres (Blaue Stunde Raum, 2011). Elle y a disposé des objets trouvés (des cailloux, des morceaux de verre, des mauvaises herbes) ramassés dans la rue devant l'espace d'exposition. Elle a conservé sur papier l'empreinte de ces assemblages, dans le but d'en faire un livre. Tels des fossiles figés dans la pierre, les traces de la rue sont recueillies pour être archivées. Cette immortalisation de la trace est en même temps poussée à l'absurde, car les objets restent indéfinissables, semblables à des souvenirs estompés. Lorsque l'on pénètre dans la pièce, on ne perçoit presque rien du travail effectué sur les fenêtres. Ce qui domine, alimentée par l'éclairage des maisons environnantes et par l'entrebâillement de la porte menant à la pièce contiguë, c'est la lumière bleue, qui plonge la salle dans une atmosphère presque sacrée.

D'autres traces relevées à Paris, ville d'élection de Katinka Bock, entrent en jeu : pendant un an, elle a recueilli et collectionné des morceaux de ficelle, de lacets et de ruban (United for Paris, 2011). Elle m'a confié, lors d'un entretien, que l'on pouvait déduire les habitudes culturelles d'une ville, voire d'un pays tout entier, à partir des brins de ficelle qui traînent sur le sol. Une fois déballé le paquet qu'ils enveloppaient, tous ces bouts de fils se retrouvent dans un coin quelconque, témoignages silencieux de leur usage (décoratif) passé, tels ces lacets rompus qui ont perdu leur fonction d'attache ou d'ornement.
En nouant ces débris bout à bout et en les tendant à travers l'espace de Rosascape, Katinka Bock trace une ligne qui parcourt les salles d'exposition. Il s'agit moins d'illustrer un transfert de traces de notre civilisation que d'opérer une translation vers une dimension à la fois psychologique et physique. Katinka Bock se saisit de ce matériau « chargé » en attachant les morceaux ensemble et en laissant le fil se dérouler progressivement pendant toute la durée de l'exposition – jusqu'à se constituer peu à peu en un tas. Cette lente progression est imperceptible si l'on ne s'y rend qu'une seule fois : la tension de la corde tendue à travers l'espace reste la même, mais la responsable de l'exposition doit apporter quotidiennement sa contribution en tirant le fil à travers la pièce, toujours plus loin vers le balcon, pour que s'y forme progressivement un petit amas de fil.
Cette œuvre illustre une démarche qui met à l'épreuve non seulement les matériaux utilisés mais également le personnel des lieux où expose Katinka Bock, sollicité afin de maintenir le processus actif pendant toute la durée de l'exposition.

Lorsqu'elle visite un espace pour la première fois, Katinka Bock s'interroge sur les données du lieu pour déterminer ce qui y manque et ce qu'elle pourrait y introduire. Dans ce cas précis, elle s'est livrée à une série d'équilibrages afin d'établir un lien entre l'espace urbain extérieur et l'espace intérieur. Dans United, Paris, elle a ainsi mis en évidence l'influence d'éléments naturels tels que la neige, l'eau ou l'air sur l'environnement de l'appartement. On ne l'aurait guère remarqué s'il n'y avait ces objets extérieurs qui, reliés à d'autres éléments disposés à l'intérieur, engendrent du mouvement. Le visiteur saisit alors qu'il est situé dans une partie d'un processus temporel bien plus long : même s'il peut se représenter la corde dans une autre configuration que celle du tas, l'expérience totale de l'exposition lui est refusée ; ou peut-être doit-il faire preuve d'imagination, car il n'assistera jamais à la formation du tas dans sa totalité.

Pourtant, c'est bien la chose absente que l'on garde en mémoire, c'est elle que l'on a en tête et qui ne nous lâche plus. Katinka Bock souligne ce vide ou ce qu'il évoque. Le son devait donc jouer un rôle important dans son exposition à Rosascape - comme ces bruits domestiques que l'on a coutume d'entendre dans un appartement privé. Bien que de l'art soit régulièrement exposé dans ce lieu, la riche décoration des pièces, le parquet élégant et la vue sur les appartements d'en face sont autant d'indices signalant que nous nous trouvons dans un espace privé. Dans cette pièce baignée d'une lumière bleue, on perçoit les bruits des appartements voisins. Ces sons, artificiels ou « naturels », se trouvent dédoublés. Nous les associons immédiatement à l'environnement sonore d'un appartement et sommes déroutés d'entendre, en provenance de la pièce contiguë, le bruit d'une chaise que l'on déplace, quelqu'un qui joue au ballon, qui saute, qui fait claquer ses pieds sur le sol ou qui frappe contre le mur. Les actions que l'on entend sont communiquées par des mouvements sonores – c'est à cette question fondamentale que s'est attelé Christian Jendreiko, dont la performance fait écho à l'exposition de Katinka Bock.

La perception consciente d'un mouvement comme expression de l'existence, mais aussi comme expression d'une atmosphère, voire d'idées, nourrit la réflexion menée par Christian Jendreiko dans ses actions et performances. Dans des textes comme celui publié dans le Libelle paru à l'occasion de l'exposition, il esquisse des images composées comme un langage.
Après avoir consigné ses actions sous forme textuelle, Christian Jendreiko livre ses idées aux acteurs qui prendront part à ses performances. Les instruments de musique qu'il utilise sont les sismographes des mouvements des participants, qui composent ensemble une sorte de sculpture sociale. Un processus pictural se forme à travers ces actions, comme dans les textes eux-mêmes ; ce processus n'est toutefois pas achevé, il est en transformation constante, et de nature visuelle autant qu'acoustique.
Pour Rosascape, Christian Jendreiko a rédigé une nouvelle action dont la forme ne sera visible que lorsqu'elle sera « vécue », au soir du vernissage de l'exposition de Katinka Bock. En d'autres termes, l'image dessinée pendant la performance sera perceptible uniquement au cours de l'action.

Kathleen Rahn
(Traduit de l'allemand par Valentine Meunier et Martine Sgard).