Extrait :
Je n’ aime pas les discussions oiseuses. Aussi, puisque pour la
première fois, l’ occasion m’ est donnée d’ exposer ma théorie esthétique,
je veux qu’ on l’ entende comme absolument indiscutable.
Il n’ y a aucune nuance à y apporter, aucune matière à discussion,
aucune opposition. Ma théorie esthétique du 3 par 4 est
mieux qu’ un axiome ou un postulat, beaucoup mieux qu’ une
suite algébrique, c’ est une aporie. Et les apories ne se discutent pas.
En général, je n’ aime pas trop qu’ on trouve à redire sur ce que je
dis, mais là, avec cette théorie du 3 par 4, inutile de la ramener. J’ admets
qu’ on puisse se faire une opinion mais pas qu’ on nie l’ évidence.
Chipoter serait d’ avance hors de propos. Hors sujet, comme
on dit. La vraie bonne attitude consiste donc d’ abord à valider chacun
des aspects de l’ énoncé puis à valider l’ ensemble. C’ est simple.
Comme 55 % de l’ assistance ne sait pas ce qu’ est une aporie, ce
sera d’autant plus simple.
Ma théorie esthétique et aporétique du 3 par 4 commence
par l’ axiome suivant : toute oeuvre contient trois niveaux
de lecture : l’ enveloppe, le contenu et le noyau. L’ enveloppe
c’ est le style, le contenu c’ est le contenu, le noyau c’ est le noyau.
On a beaucoup ergoté sur cette notion de style. À juste titre. Il innove,
il enjolive, il émeut, d’ accord. Mais le style c’ est d’ abord ce
qui reste quand on a critiqué et déboulonné le contenu. Quand
un concepteur se trompe dans ses calculs, quand il prend ses désirs
pour des réalités et qu’ on lui fait remarquer, quand il croit
bon d’ en rajouter sur le ton de : moi je sais et vais vous expliquer
et qu’ on lui dit à quel point il ne sait pas, il lui reste le style.
Le contenu est donc ce qui fait le plus parler. On a toujours des
tonnes de trucs à dire sur le contenu puisque le contenu est de
loin ce qu’ il y a de plus abordable. Le concepteur nous raconte
des histoires, façonne l’ action, l’ augmente de digressions, puise
dans un corpus d’ oeuvres de références, convoque la psychologie,
s’ implique dans le récit, etc. Voilà un contenu. On peut s’ en
moquer, le trouver indigent, plagiaire, ennuyeux, inutilement bavard.
Là encore, s’ il est écrit avec style, il s’ en tire à bon compte.
C’ est ce qu’ on croit. Car il reste encore le noyau. Le noyau est ce qui
n’ est ni du style, ni du contenu, même s’ il prend l’ apparence d’ un
contenu caché. Le noyau est l’ énergie secrète des deux autres, donc
une énergie qui ne se voit pas. On parle rarement du noyau car on
préfère toujours parler de ce qu’ on voit. Même le concepteur n’ en
parle pas. Pourtant, il suffit de représenter graphiquement l’ enveloppe
autour d’ un contenu pour voir apparaître un noyau résiduel.
La preuve par l’ image :
Vous avez là d’ abord l’ enveloppe, donc le style, très mince.
Vous avez le contenu, épais.
Il vous reste le noyau au centre.
1, 2 et 3
La quasi totalité des ouvrages conçus par Roussel illustre parfaitement
la règle des trois niveaux de lecture. Auteur intéressant
puisque sa renommée n’ est plus à faire, disons qu’ entre
55 % et 65 % de l’ assistance a lu un ou plusieurs livres de
Roussel. Ce cas est d’ autant plus intéressant que de nombreuses
confusions ont circulé à son sujet. La plus connue concerne
son imagination délirante structurée par sa passion du jeu.